Le récit de la Transfiguration en Matthieu 17,1-9
« Une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ».
Etonnante dans la bible est la place de l’ombre – Tohu bohu primitif sur lequel plane le Souffle, secret du sein de la mère où germe l’enfant, colonne d’ombre et de lumière qui guide le peuple au désert… C’est l’Amour qui ob-ombre, enveloppe de son mystère incompréhensible, conduit l’humain là où il perd sa maîtrise, son pouvoir, et où il devient enfin disponible à la Parole créatrice de toute nouveauté.
Matthieu, Marc et Luc, les 3 évangélistes, situent au même point de leur récit cette expérience cruciale de l’ombre et de la lumière où l’humain est recréé, refondé. Au centre. Au cœur. Elle est au plein milieu de toute vie, de toute existence croyante, ou simplement humaine.
Ils l’avaient rencontré, puis suivi, cet être, lui même à la fois lumineux et ténébreux, doté de pouvoirs surprenants. Ils avaient bu ses paroles. Il les avait aussi étonnés au détour d’une confidence, d’une prise de position. Il ne caressait pas tout le monde dans le sens du poil. Certains de ses propos agaçaient, scandalisaient. Mais son aura était entière. Ils seraient les ministres plénipotentiaires en son Royaume. Et patatra ! Non, non, cela ne se passerait point ainsi. Il ne changera pas les pierres en pain. Il ne prendra pas le pouvoir sur les royaumes de la terre. La gloriole et le pouvoir ne sauvent pas l’humain. Son chemin est celui des vrais prophètes, il passe par Jérusalem, par la vie donnée pour que la Vie triomphe de la mort.
« Non, non, pas toi, Seigneur ! », crie Pierre. – « Arrière, Satan, tu me barres le chemin ». Cumulus épais. Nuit profonde. Inacceptable. Immérité. Seul Dieu, incompréhensible d’abord, peut nous faire naître à la Vie dans l’ombre où l’humain a renoncé à son pouvoir, à sa propre promotion par ses propres moyens.
Quand Jésus les emmène sur la montagne, à l’écart (l’écart n’est-il pas parent de l’ombre ?), ne croyez pas à une promenade romantique au clair de lune. Au contraire. Il poursuit son chemin, le chemin de l’Homme, et il passe par le lieu où règne le Terrible, la foudre et le tonnerre, le vent et les éclairs, le lieu de l’Obscur et de l’Intense dans tous ses états. Ce jour-là, trois et trois seulement, sont prêts à courir l’aventure, à relever le défi. Mais nous savons très bien qu’ils nous représentent tous et qu’il nous faudra tous l’affronter, cette montagne. Luc interprète et dit que Jésus s’y rend pour prier. Rien de tel chez Matthieu. La montagne, à point c’est tout.
Et que se passe-t-il sur la montagne ? Ce qui surprend, c’est l’allure. Le jeu d’ombre et de lumière va tellement vite. Dieu ne fait que passer. On n’a jamais le temps de s’en saisir, ni même d’en être tout à fait sûr. Dans l’auberge d’Emmaüs aussi il se donne à reconnaître pour disparaître immédiatement et Marie-Madeleine, même elle, ne peut le saisir dans l’aube de Pâques.
Ce qui un instant illumine la nuée, c’est un visage, la vérité du visage de l’Homme, devenu filial et frère universel. Ce visage nous est offert. Souvent ? Savons-nous le reconnaître ?
Ce qui jaillit de l’épaisseur de l’ombre, c’est une Parole, celle de Dieu : « j’ai fait tout cela, et la lumière et l’ombre épaisse, toute l’aventure sauvage de la nature et des cultures pour que tu puisse toi y entendre cette voix te murmurer : « Tu es, toi aussi, fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour… Entends cette parole et celle de Celui que j’ai envoyé. Suis-le, sa parole est vraie et son chemin conduit à la vie, pour toi et pour tous tes semblables. »
Pas question alors de s’attarder ni de dresser des tentes. Délire d’homme. Ce pèlerinage ne fait pas de nous des êtres à part. Il ne nous confère aucun privilège. Tout juste le devoir de marcher à la tête de la cohorte humaine. Non pas avec des idées forcément plus lumineuses, mais avec un cœur plus fraternel.
P. Jean-Pierre