Quel bonheur de lire chaque jour en ce temps pascal une fraîche tranche de vie des Actes des Apôtres. Ils ne racontent pas seulement les hauts-faits des 12, mais la vie, les découvertes,
les initiatives de ces premiers disciples du Ressuscité. Ainsi, ce jeudi de la 3è semaine de Pâques nous propose l’aventure de Philippe. A peine ordonné diacre, on découvre que ce service, comme
tout service, devient annonce missionnaire de la Bonne Nouvelle. Chassé de Jérusalem par une persécution, il se rend en Samarie. Et là, il entend l’ange du Seigneur (ce qui veut dire qu’il a
pris, dans la foi, ce qu’il a entendu en lui comme la parole même du Seigneur) lui demander de sortir à la rencontre des hommes. Il se met à l’écoute du premier venu qui n’est pas n’importe qui,
partage sa recherche, ses questions sur le sens de sa vie et des Ecritures, et peut ainsi lui annoncer la nouvelle d’un Dieu bon au point de mourir d’amour pour lui. Et voilà l’homme plongé dans
l’eau du baptême où une Vie insoupçonnée lui est donnée en abondance.
Nous pensons instinctivement que tout cela est devenu impossible. Le monde est devenu trop compliqué. L’histoire turbulente du christianisme a accumulé des montagnes d’obstacles. Et vraiment,
dans notre laïcité, nous ne pouvons pas… nous ne voudrions pas… nous n’en avons pas le droit… Mais ce qui me frappe le plus, c’est le syndrome de Jéhovah. Il agit instantanément, quasi
systématiquement. C’est l’argument que le diable pousse en première ligne avec une aisance incroyable : « Oh, mais alors, on sera comme les Témoins de Jéhovah !? » Immédiatement, l’affaire
est entendue, le débat clos, la question enterrée… Laissons le Seigneur lui-même exorciser en nous ce spectre, déconstruire cet épouvantail pour moinillons apeurés.
Dans notre monde de consommation et clos sur lui-même, est-il honteux que nous soyons nous aussi témoins de transcendance ? Non pas celle d’un antique Jéhovah terrifiant et vengeur, mais du Père
de Jésus. C’est sa tendresse qui a embrasé le cœur des premiers disciples. Sommes-nous sûrs d’être témoins du Père de tous les hommes ?
Autant que je m’en souvienne, les albums des Témoins sont toujours remplis d’images, certes un peu naïves, d’un à-venir de l’homme. Dans notre monde sans grande espérance, cela est loin d’être
insignifiant. Il me semble que leur Temple s’appelle « salle du Royaume ». Mais le Ressuscité n’a-t-il pas partagé avec ses disciples son souci que vienne le Royaume ? Sommes-nous des hommes, des
acteurs du Royaume ?
Je n’aime pas la politique du verset biblique appris par cœur et rabâché comme la vérité intangible, mais notre cœur reçoit-il chaque jour une Parole qui fait vivre ? Une Parole à partager ? Le
Ressuscité se souciait d’ouvrir leur intelligence à la compréhension des Ecritures. Elles-mêmes permettent de saisir leur accomplissement en Christ ressuscité. Quel est mon temps consacré à
scruter les Ecritures pour y découvrir le visage du Seigneur et l’appel à me convertir ?
Le bouquet… ce que nous ne voulons absolument pas… la honte… c’est d’aller de maison en maison… comme les Témoins. Alors, ne le faisons pas… pour racoler… pour amener de l’eau à notre moulin… et
même pas pour convertir… Mais dans notre monde qui crève de solitude, pourquoi ne pas pratiquer un peu plus, sous une forme ou une autre, la visite, la visitation, pour… servir, aimer… créer du
lien, du bonheur, de la parole échangée… ou simplement pour bavarder… ?
Quand les païens voyaient venir à eux les témoins de la première Eglise, quand ils les voyaient se rassembler dans leurs maisons, ils étaient subjugués, car ils rayonnaient : une joie que rien ne
pouvait entamer, une tranquille assurance, une liberté nouvelle, une espérance invincible, une fraternité impensable qui les rassemblait tous autour de la même Table. Le Seigneur a demandé à ses
disciples d’attendre 50 jours au cénacle, le temps de semer en eux ces graines qui ne demandaient qu’à produire du fruit au grand souffle de l’Esprit.
P. Jean-Pierre