Célébration œcuménique du 22 février 2023 à Kutzenhausen
Homélie
Is 1,1-18 ; Ep 2,13-22 ; Mt 25,31-40
Dans toute célébration chrétienne, l'important est la parole de Dieu. Les deux lectures que nous avons entendues (Ephésiens 2 et Matthieu 25), jointes à celle seulement citée par endroits (Isaïe 1) sont à comprendre comme formant une unité qui nous mène loin, très loin dans notre réflexion.
1. L’immense livre d’Isaïe (66 chapitres) s’ouvre sur une très sévère critique des pratiques en usage dans le culte des Hébreux aux septième-huitième siècles avant notre ère :
« Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous demande de fouler mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes : la fumée, je l’ai en horreur ! (...) Je n’en puis plus de vos fêtes. (...) Quand vous étendez les mains [pour la prière], je me voile les yeux, vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous. Ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice »
Pas besoin de commenter longuement. On a là la plus célèbre des oppositions, dans l’Ancien Testament, entre les rites dans leur aspect forcément extérieur et les dispositions intérieures du cœur càd de la foi. L’extérieur, c’est quand on confie à l’offrande végétale, à la victime animale offerte en sacrifice ou aux paroles prononcées dans la prière, le rôle de nous mettre en relation avec Dieu. L’intérieur, en revanche, consiste à recevoir au fond de soi le contenu d’amour que Dieu y dépose, en vue du respect de l’autre et de l’aide que je peux lui apporter. Le thème de cette semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens, préparé par l’Etat américain du Minnesota, nous rappelle lourdement des temps d’histoire de l’humanité où les Blancs d’Amérique allaient prier dans une bonne foi apparente. Souvenez-vous du très beau film La case de l’oncle Tom. Les gens de couleur, de leur côté, faisaient de même, mais avec des dispositions toutes différentes étant donné leur servitude et leur misère. Une transposition dans notre univers social contemporain n’est pas difficile à faire, tellement le clivage est aujourd’hui encore fort entre riches et pauvres, dominants et dominés, faibles et puissants. Les uns ont la faveur du Seigneur, les autres non.
2. Vient ensuite la Lettre de Paul aux Ephésiens. L’Apôtre des Nations, ou son disciple qui écrit, nous exhorte à l’unité entre les deux parts de nous-mêmes : à savoir l’éloignement par rapport à Dieu, qu’apporte la haine, la discorde et l’oppression, et la proximité avec lui en raison de l’immense amour qu’il nous a montré jusque dans la mort de son Fils sur la croix. De gens différents comme le Juif et le Païen, il a voulu « faire un seul homme nouveau, en établissant la paix ». Il a voulu « réconcilier tous les deux avec Dieu en un seul corps ; au moyen de la croix ; là, il a tué la haine ». Ici encore, les paroles bibliques sont très simples et accessibles : nous semons la séparation, la discorde et la haine ; mais rien n’est perdu puisque, si nous le voulons, le Christ nous réconcilie.
3. Nous venons d’entendre et de chanter le psaume 42 Sicut Cervus (« Comme une biche assoiffée se penche vers des cours d’eau, ainsi mon âme se penche vers toi, mon Dieu. Mon âme a soif du Dieu vivant : quand pourrai-je entrer et paraître face à Dieu ? »). Comme tant d’autres, ce psaume présente une formulation de l’humble prière que Dieu agrée, et dont nous avons repris, en la chantant entre les couplets, la phrase principale qui résume tout : Espère en Dieu ! Oui, je le célébrerai encore.
4. Mais voici, dans l’évangile, l’extraordinaire allégorie du grand retour du Christ en gloire. L’ensemble de l’évangile de Matthieu est littéralement encadré par le message des Béatitudes au chapitre 5, appelé la charte du Royaume de Dieu, et cette parabole du retour du Christ en gloire au chapitre 25. Nous voilà rendus, avec cette fresque grandiose, au moment final et suprême de l’aventure terrestre pour tous les humains. Et c’est là qu’intervient une drôle de surprise : durant notre vie, où et quand avons-nous vu celui qui est à présent devant nous en gloire ? Réponse : dans la modestie et l’insignifiance du service des plus humbles. Le philosophe danois Soeren KIERKEGAARD, une grande figure du Luthéranisme, et qui a vécu et écrit au 19e siècle, nous livre un éclairage infiniment précieux sur ce phénomène de la reconnaissance, ou pas, du Christ en nos vies. Kierkegaard explique que le Christ passe incognito parmi nous : par exemple, je rentre un soir après un bon repas chez des amis. J’aperçois à peine une forme humaine dans l’obscurité sous un porche. Et je passe, parce que déjà les préoccupations de lendemain m’appellent. Eh bien, où était le Christ lorsque je rentrais chez moi ce soir-là ? Il était dans cette forme humaine sous le porche, que je n’ai pas su, voulu ou été capable de voir. Et pourtant mon éternité dépend de cela (« la vie du monde à venir », dirons-nous tout à l’heure) : « ... car, j’ai eu faim, soif, j’étais un étranger, nu, malade, en prison et vous êtes venus jusqu’à moi » ; ou alors « Vous n’êtes pas venus jusqu’à moi ». Notre existence revêt donc un caractère dramatique : si nous ne voyons pas les plus petits et ne venons pas à leur secours, notre vie éternelle auprès de Dieu n’aura pas lieu ; et alors vaudra pour nous la parole de malédiction : « Alles-vous-en loin de moi » qui suit immédiatement la parole de l’accueil des bienheureux dans la gloire. Pourvu donc que vaille pour nous la parole du Seigneur en gloire : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde ». Par parenthèse, aurions-nous reconnu le Seigneur dans le supplicié pendu au bois de la croix ? Pourtant, lui, le Roi de l’univers, et tous les pauvres de la terre avec lui, sont notre Maître au regard de notre avenir au terme de notre passage sur cette terre.
Dans cette perspective, il reste tant à faire dans notre monde proche et lointain. Aux urgences sociales criantes s’est encore ajoutée, depuis plusieurs dizaines d’années, l’urgence écologique qui est inséparable de l’urgence sociale, ainsi que le rappelle le pape François dans son Encyclique Laudato si du 24 mai 2015 sur l’écologie. Préserver notre « maison commune », notre terre-mère, et l’aider à nourrir tous ses enfants, voilà notre tâche commune. Lutter pour la justice, agir pour le droit de tous à une vie digne, voilà ce que nous enjoint la parole biblique qui dit la vérité sur Dieu, sur nous-mêmes et sur notre monde.
Chers amis, notre célébration œcuménique, si belle que soit notre assemblée, si beaux que soient nos prières et nos chants, nous appelle, au plus profond de nous-mêmes, à faire plutôt qu’à dire.
Simon Knaebel